Nous y pensons rarement sous cet angle … Quand j’entends dire :
- Mon cheval ne va plus
- J’ai tout essayé de la manière douce, à la manière dure, rien n’y fait
- Je voudrais le donner contre bons soins…
- Je n’ose plus grand-chose avec lui.
Cela me laisse perplexe. Il y a tant d’éléments qui nous ont échappé avant même qu’ils ne soient dans nos vies.
J’ai voulu donner la parole à l’un de mes chevaux pour nous aider à les comprendre…
Je suis né en Espagne. Après une vie libre avec ma mère j’avais six mois quand on est venu me chercher et que l’on m’a coincé ligoté pour me brûler au fer rouge sur le dessus de la cuisse gauche. Je hurlais en tentant d’échapper à la douleur de toutes mes forces. Les hommes me mobilisaient encore plus en hurlant. Quand ils m’ont relâché je savais à peine marcher. J’avais tellement mal!
Je n’ai plus revu ma mère. J’ai été jeté parmi d’autres jeunes comme moi, brûlés comme moi dans une stabulation. On se serrait les uns contre les autres. On nous jetait du foin plusieurs fois par jour. On se bousculait pour en avoir. J’avais 8 mois.
Le temps a passé et des hommes sont revenus. J’étais mort de peur. On m’a grimpé dessus. J’étais terrorisé. Je ne bougeais plus. On m’a frappé. Je n’osais plus bouger.
Je les ai entendu parler entre eux et j’ai été mené violemment dans une énorme boîte où il y avait déjà d’autres jeunes chevaux comme moi. Il faisait sombre.
Le sol a bougé sous nos pieds comme un tremblement de terre. Pendant des heures. Et dans un vrombissement incessant nous avons roulé. Parfois il y a avait de la lumière, parfois il faisait noir. Certains d’entre nous étions blessés. Un matin on nous a débarqués. Il faisait froid et gris dehors. Tout me faisait peur.
De chocs en chocs
On nous a vidé du camion sans ménagement vers un grand hangar fermé. Il y avait des hommes et femmes qui nous regardaient. Ils parlaient entre eux. Certains d’entre nous étaient emmenés.
Une jeune femme est venue vers moi. J’ai compris que j’allais être emmené. J’étais incapable de mettre un sabot devant l’autre. Elle était très douce et j’ai fini par la suivre. J’avais mal partout.
Le lendemain elle était sur mon dos. J’avais très mal. Mon squelette n’était pas formé pour supporter le poids d’un cavalier. Je n’ai rien dit.
Par étapes et sans excès la jeune fille m’a donné confiance. J’avais trois ans.
Les débuts de la vie d’un cheval sont souvent chaotiques
Nous y pensons rarement sous cet angle. Les débuts de la vie d’un cheval sont souvent chaotiques avant qu’il soit chez nous. En reprenant certaines étapes du débourrage je peux identifier que l’on est monté trop vite, trop tôt sur leur dos et que tout leur corps crie encore de souffrance et d’indignation muette. Ils n’ont pas encore intégrés les changements dont certains sont de véritables traumatismes et on leur demande des prouesses physiques. Le cheval est un mammifère qui doit sa survie au fait d’apprendre vite. Les premières années de sa vie sont capitales pour le reste de son existence. Certains trouvent leur voie plus facilement que d’autres.
Mais poursuivons l’histoire de mon cheval dans ses jeunes années:
J’étais plein d’espoir…
Un matin des personnes sont venus me voir. Certains montaient sur mon dos, d’autres repartaient tout de suite. Une femme s’est particulièrement intéressée à moi. J’ai été embarqué dans cette boite hurlante dont le sol tremble sous mes pieds. J’avais mal partout et j’avais peur. La dame était gentille, j’étais plein d’espoir. Plusieurs personnes me sont montés sur le dos. Certains plus légers que d’autres. Toutes sortes de caractère : des doux, tolérants et indulgents avec des aides légères. D’autres plus rigoureux, la main dure, exigeants – allant jusqu’à la cruauté et la violence. En majorité j’avais la préférence des dames. Mais nos corps à corps ne ressemblaient à rien. Je sentais leur peur et j’avais peur.
J’ai dû gérer sur mon dos un poids pas toujours en équilibre. J’ai dû répondre aux trois allures dans des environnements variés. Il m’a été demandé d’accepter avec élégance toutes les manipulations corporelles. Puis j’ai à nouveau déménagé chez une dame. Sa peur était terrible et la mienne aussi. J’ai eu l’impression qu’elle cherchait quelque chose.
Du vétérinaire au dentiste, en passant par le maréchal ferrant et sans broncher j’ai dû accepter d’être fouillé, ausculter, palper, jauger. Au final on m’a jeté dans un boxe et l’on m’a emasculé. J’en ai encore en souvenir la douleur physique qui s’en est suivie.
Je n’ai pas démontré de compétence physique particulière. La douleur à l’entrejambe était trop forte. Galoper était une torture. On m’a poussé à bout et j’ai galopé plus vite pour essayer d’échapper à la souffrance. N’y pouvant plus j’ai fini par jeter ce poids qui me flinguait le dos. On m’a remis au box et plus personne n’est venu me voir. J’avais trois ans et demi.
Obstacles, dressage, spectacles, corrida, chasse à courre
Nous y pensons rarement sous cet angle. Aux chevaux nous demandons d’avoir la gagne pour sauter très haut et remporter des courses. Nous attendons d’eux qu’ils exécutent des figures compliquées avec des femmes en jupons à volants ou des hommes en chemise à jabot le tout au son de musique beuglante dans leurs oreilles à déchirer les tympans… certains d’entre eux ont dû passer le feu, accepter des aigles ou des chiens sur leur dos, trier du bétail, affronter des taureaux dans des arènes sous les cris de la foule, ou participer à l’hallali dans des chasses à courre et repartir avec le cerf ensanglanté sur le dos.
Mon cheval a continué:
Un jour on est venu me chercher et plusieurs personnes me sont passées sur le dos. J’ai compris que quelque chose se tramait. Une dame toute petite a demandé à « m’essayer ». Je suis sorti en promenade. J’étais content d’être dehors. En même temps j’étais terrorisé. Je ne savais pas ce que je pouvais faire, ce que je ne pouvais pas faire. Et j’avais horriblement mal à l’entrejambe. Une nouvelle fois je me suis retrouvé dans la boite avec le sol qui tremble. Et je me suis retrouvé dans un tout petit box qui donnait sur un joli paysage.
Le lendemain j’ai été présenté individuellement à plusieurs chevaux que je ne connaissais pas. Certains m’ignoraient. D’autre pas. Je me suis retrouvé tout seul. J’ai un peu paniqué. Des personnes sont revenues avec les chevaux . On a marché dans la campagne pendant deux heures. Nous étions dix. Des gens et des chevaux. Je n’avais jamais vécu ça! Au retour de cette ballade, on m’a remis avec les chevaux… je ne savais pas où était ma place, certaines juments voulaient venir me voir. Un grand cheval s’est approché et m’a chopé à l’encolure pour me plaquer au sol.
J’ai cru mourir
J’ai fait profil bas. La petite cavalière est venue me voir régulièrement. Elle me longeait. Me montait très peu. Un homme m’a monté. Un peu. J’avais mal au dos, de nouveau je ne savais pas ce que je pouvais faire ou pas. Ma tête me faisait mal. L’homme est venu un jour où tout mon corps hurlait de douleurs. Il m’a grimpé dessus et je l’ai mis à terre. J’avais tellement mal! Il est remonté. J’avais peur et je n’ai rien fait pour écourter ce moment.
La petite cavalière était là et j’ai compris qu’elle allait aussi me monter sur le dos. Je n’en pouvais plus et je me suis mis à galoper pour me débarrasser de la douleur. Je me suis arrêté net. Ca ne fonctionnait pas. La souffrance empirait et la petite cavalière restait sur mon dos accrochée à deux mains à la selle. Elle est descendue et j’ai compris trop tard qu’elle avait eu peur. L’homme est remonté. Comme il était plus lourd c’était intenable et je l’ai remis par terre. Des personnes ont crié. L’homme m’a remis au box.
Je suis resté seul. Plus personne pour venir me voir. Une femme nous rentrait tous et nous sortait. Elle me donnait à manger c’est tout. J’avais quatre ans.
Je voyais qu’elle s’occupait des autres chevaux du troupeau et pas de moi. Je souffrais physiquement et mentalement. Un soir J’ai pété un câble: j’ai commencé à taper dans les murs et la porte du boxe. Je voulais que l’on me voit. Et surtout je voulais que l’on s’occupe de moi, vraiment.
Après ma grande colère dans le box, il y a eu des transactions âpres. Je tremblais. Je commençais à connaître le processus.
La petite cavalière a disparu de ma vie
J’ai compris qu’il y avait un grand changement. Et pour combien de temps ? Je me suis méfier. J’étais cassé, fatigué.
Un homme est venu. Il m’a manipulé et mes douleurs ont disparu. J’allais mieux physiquement. Ma tête et mon cœur restaient en vrac.
La dame a commencé à s’occuper de moi comme des autres chevaux, sans rien me demander, sans me grimper dessus. On allait juste manger de l’herbe au bord des routes elle et moi.
Je me souviens d’un jour où elle est venue me retrouver très tôt. Elle est restée debout à côté de moi sans rien me demander. On regardait le soleil se lever. J’ai posé mes naseaux dans son cou et j’ai soupiré. Un soupir venant de loin. Je me suis couché et elle s’est assise à côté de moi. Le reste du troupeau autour de nous. Pour la première fois je me suis senti à ma place.
J’ai adopté une jument du troupeau avec laquelle je me sentais très bien.
Aujourd’hui j’ai 8 ans, si nous avons changé d’endroits nous restons tous ensemble. Je commence à avoir confiance que les pires années sont derrière moi.
Nous y pensons rarement sous cet angle, à l’âge de 15 ans les chevaux sont usés d’avoir tenté de comprendre les règles de chaque système dans lesquels ils sont entrés. Ils doivent faire en sorte d’être admis dans de nouveaux troupeaux dans lesquels on les place.
La vie des chevaux est un peu comme de changer de famille d’accueil
La vie des chevaux est un peu comme de changer de famille d’accueil. Une vie faite d’instabilités constantes. Nous y pensons rarement sous cet angle. Ils changent de scolarité régulièrement et se rendent compte que les autres élèves ont leurs propres groupes et clans dont ils ignorent les codes. Ils découvrent que ce que tout ce qu’ils ont appris dans l’ancienne école n’a pas d’application dans la nouvelle.
En prouvant leur excellence, parfois au-delà de l’espérance de leurs propriétaire, les chevaux démontrent de leur intelligence, de leur générosité et de leurs compétences relationnelles innées dans des circonstances extrêmes.
L’interaction sociale et la stimulation permettent à l’esprit de se développer. C’est le cas chez tous les mammifères dont nous en faisons partie.
Mon cheval a pu paraître “stupide”
Il se peut que mon cheval ait pu paraître “stupide”, “lent”, “têtu”, etc. c’est seulement parce qu’il n’a pas eu la chance d’apprendre. Nous y pensons rarement sous cet angle
C’est totalement compréhensible qu’il ait pu manifester les mêmes symptômes qu’un orphelin abandonné – détresse, comportements étranges, colère, peur.
Nous y pensons rarement sous cet angle, qui s’attend à ce qu’un enfant, ou un chien fasse des exercices de vitesse, de saut, de danse, et développe de telles capacités intellectuelles sans attachements, en changeant d’environnement et vivant dans une boîte 23 heures par jour pour la plupart ?
Pensez bien qu’avant l’achat de votre cheval il a déjà vécu quantité d’événements. Ce sont de véritables traumatismes et cela n’a rien à avoir avec vous. Prendre le temps d’aller à sa rencontre avant de faire des activités ensemble est la base de toute relation vivante. C’est ce qui rend le monde meilleur. Si vous ne savez pas par quel bout commencer, le formation Cheval en Lien peut vous y aider.
Prenez soin de vos chevaux et chérissez-les.
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Cet article vous a plus? Je vous invite à découvrir celui-ci “Les chevaux nous expliquent les demandes d’attention“
20 Responses
Très beau texte. Tellement juste.
Merci Véronique!
Un témoignage particulièrement touchant… Merci Florentine pour cet angle de vue….
Merci Marie-Pierre
Bravo Florentine et merci de ce partage si émouvant !
Merci Agnès!
Quel texte magnifique, vu comme ça, nous sommes, nous les hommes, les pires animaux qui soient, …enfin pas tous heureusement. Chérissez vos poilus, ils le méritent tant et nous le rendent au centuple.
Merci Carine. Je crois que c’est plus par ignorance que certains humains sont comme ils sont. J’ai eu la chance d’avoir un cheval qui m’a ouvert les yeux.
Tout à fait d’accord! Chérissons-les!
Une lecture qui laisse des traces …. une lecture qui confirme ce que je suis en train de vivre avec mon réformé des courses … mais je prendrais la patience dont il a besoin c est certain ! Merci pour cette réflexion
Merci pour votre commentaire. Votre réformé des courses a bien de la chance de vous avoir rencontré. Que le meilleur vous accompagne tous les deux!
Magnifique ! Ce texte en dit tellement sur ce qui de cache derrière chaque “blessure”. Merci Florentine pour ta façon de nous connecter à l’âme du cheval et d’apporter ce regard rempli de sensibilité et d’humanité.
Merci Joëlle! Cela fait plaisir de lire que l’histoire de mon cheval touche autant de coeurs.
Merci pour ce bel exemple de ressenti du cheval. j’en ai eu les larmes aux yeux, car plusieurs chevaux m’ont déjà fait part d’histoires similaires lors de “conversations”. Merci de sensibiliser comme tu le fais au bien-être animal et à la bientraitance du vivant.
Merci à toi de les écouter et de converser avec eux!
Un texte à mettre au mur de tous les manèges ou chez les vendeurs de chevaux. Merci
Merci Isabelle! Ce serait intéressant en effet!
Ca frappe en plein coeur…
Et c’est bien en comprenant toutes ces choses à travers mes propres chevaux que j’ai aujourd’hui du mal à leur imposer ma personne sur le dos.
Je fais plein de choses avec eux à pied et j’adore ça ! Mais toujours selon eux et leur humeur du jour. Je ne sais plus faire autrement.
Ils vivent en toute liberté et notre relation est au top. Que demander de plus ?
Merci 🙂
Bravo Marija! Ils ont bien de la chance d’être dans votre vie! Merci à vous aussi!
Un beau pas de côté pour nous permettre d’appréhender l’autre sans jugement et pour tisser une belle relation de confiance où chacun y trouve son compte.
Merci Florentine pour ce joli texte!
Merci Catherine